Entre 1982 et 1991, tous les troisièmes week-ends du mois de juin se sont tenus, à la halte ferroviaire (devenue facultative) des Fades, les fameux « Congrès ordinaires de Banalyse » fondés par deux universitaires rennais, MM. Pierre Bazantay et Yves Hélias. Laissons la parole à ce dernier1:

« Un jour, où nous nous ennuyions, ni plus ni moins que d’ordinaire, mais où nous étions, sans doute, décidés à ne plus être dupes des moyens par lesquels nous trompions l’ennui, nous eûmes une idée. Il s’agissait de séjourner quelques jours dans un petit hôtel, en face d’une petite gare, pour y constater ce qui s’y passait. Il fut également décidé d’inviter un certain nombre de personnes à nous rejoindre par voie ferroviaire dans cette « campagne d’observation du banal ». Nous nous devions ainsi d’être présents à tous les trains sur les quais de la gare, afin d’accueillir d’éventuels audacieux. L’expérience eut lieu à Fades (Puy-de-Dôme) en juin 1982. Son bilan fut tel que nous avons décidé de la reconduire tous les ans, sous l’appellation du « Congrès ordinaire de Fades ».2 La seconde édition s’est réalisée en juin 1983.

« D’un point de vue extérieur, il est tentant de réduire ce jeu à une plaisanterie ou à une réminiscence surréaliste tardive. En le pratiquant, nous avons, quant à nous, été surpris par ce qu’implique pour la pensée sa confrontation au dérisoire. Nous avons appelé « Banalyse » l’agitation mentale, encore assez confuse, que provoque cette expérimentation peu raisonnable, mais exigeante, d’une réalité sans intérêt, mais problématique. »

Les « Banalystes » sont des intellectuels se réclamant d’une mouvance post-situationniste3. Le principe du congrès imaginé par nos deux universitaires, consistait à « faire venir des gens dans un lieu d’une réalité sans intérêt manifeste. » (sic !). Ils avaient choisi ce lieu « pour sa banalité », parce qu’« il n’y avait rien à voir » (sic !)… ; un coin perdu avec sa gare d’opérette où les rares trains ne s’arrêtaient que si l’on faisait signe au conducteur… (Avouons, en passant, que c’était faire bien peu de cas de ce site d’exception…).

Pour « ces cerveaux capables d’insignifiance sublimée », la modeste halte des Fades faisait office de « Perpignan du pauvre », par référence à la gare de Perpignan que l’excentrique peintre catalan Salvador Dali avait placé au centre du monde ! Mais ils étaient de plus en plus nombreux à estimer que, dans cette cosmogonie du néant, Perpignan serait, en fait, le « Fades du riche » !…

En juin 1982, une trentaine de personnes avaient été conviées au congrès. Aucune ne vint à l’exception de nos deux protagonistes ! Le congrès fut reconduit à date fixe pendant dix ans. Il mobilisa successivement encore zéro personne (1983), puis 7, puis 13, puis 33, puis 60 et se stabilisa, grâce aux efforts des organisateurs pour réduire le nombre d’invités, autour de 40. Mais le nombre de banalystes excédait déjà probablement celui des présents. En effet, selon les actes du cinquième congrès, était banalyste « quiconque, ayant eu vent du Congrès de Fades, a été fortement tenté de s’y rendre »4 !

Mais, me direz-vous, quel était exactement l’objet de ce congrès ? « Le propre de ce congrès – explique Yves Hélias – était de ne proposer aucun objet sinon celui d’être là, au cours du troisième week-end de juin »… « Il s’agissait simplement d’attendre et de rencontrer d’autres personnes ayant également estimé qu’une telle mise en perspective était fondamentale ».

Ainsi, la principale occupation des congressistes consistait-elle à « la répétition ludique d’un rituel festif » : venir attendre, six fois par jour, sur le quai de la petite station, d’autres individus qui descendraient, ou non, du prochain autorail pour « un rendez-vous considéré à l’époque comme essentiel » !… « Leur espoir, sans démiurgie, était au constat seul du banal. Ils aboutissaient, sans vouloir changer le monde, à cette question magnifique : Que faisait-on là ? ». Et à cette autre question primordiale : « que se passe-t-il lorsqu’il ne se passe rien ? » !… « Renouvelé chaque année de 1982 à 1991– précise Yves Hélias – l’appel des Fades a permis de partager et de mettre en forme par des moyens ludiques, un malaise que l’époque s’ingéniait à renvoyer au destin personnel de chaque vie privée ».

Acte fondateur de la « Banalyse », le « Congrès de Fades », outre la création d’une « situation », « permit de conceptualiser plusieurs positions-clés qui forment encore la base de l’esprit banalytique :

1°) – Une tentative de définition de ce qui n’est pas remarquable, de ce qui est moyen, mais qui forme l’immense majorité de ce qui est. 2°) – Au travers de cela, le besoin de cerner le sujet historique fondateur de cette banalité : l’Homme banal, qui par définition est l’exclu de la modernité, laquelle à travers ses enjeux, sa communication, ses modèles, ne valorise que l’exceptionnel, le performant, le beau, le chic, etc. 3°) – La mise en évidence de cet état de fait par le constat banalytique. »

« L’esprit banalytique » se perpétue encore de nos jours sous d’autres formes, tirant sa sève de la vacuité de nos sociétés matérialistes. Augusto Halmar, chroniqueur à Valparaiso a écrit : « Je n’ai rien vu sinon le monde, rien ne m’est arrivé sinon la vie » ; il aurait eu sa place dans ce congrès de Banalyse.

Mais, me direz-vous, quel était exactement l’objet de ce congrès ? « Le propre de ce congrès – explique Yves Hélias – était de ne proposer aucun objet sinon celui d’être là, au cours du troisième week-end de juin »… « Il s’agissait simplement d’attendre et de rencontrer d’autres personnes ayant également estimé qu’une telle mise en perspective était fondamentale ».

Ainsi, la principale occupation des congressistes consistait-elle à « la répétition ludique d’un rituel festif » : venir attendre, six fois par jour, sur le quai de la petite station, d’autres individus qui descendraient, ou non, du prochain autorail pour « un rendez-vous considéré à l’époque comme essentiel » !… « Leur espoir, sans démiurgie, était au constat seul du banal. Ils aboutissaient, sans vouloir changer le monde, à cette question magnifique : Que faisait-on là ? ». Et à cette autre question primordiale : « que se passe-t-il lorsqu’il ne se passe rien ? » !… « Renouvelé chaque année de 1982 à 1991– précise Yves Hélias – l’appel des Fades a permis de partager et de mettre en forme par des moyens ludiques, un malaise que l’époque s’ingéniait à renvoyer au destin personnel de chaque vie privée ».

Acte fondateur de la « Banalyse », le « Congrès de Fades », outre la création d’une « situation », « permit de conceptualiser plusieurs positions-clés qui forment encore la base de l’esprit banalytique :

1°) – Une tentative de définition de ce qui n’est pas remarquable, de ce qui est moyen, mais qui forme l’immense majorité de ce qui est. 2°) – Au travers de cela, le besoin de cerner le sujet historique fondateur de cette banalité : l’Homme banal, qui par définition est l’exclu de la modernité, laquelle à travers ses enjeux, sa communication, ses modèles, ne valorise que l’exceptionnel, le performant, le beau, le chic, etc. 3°) – La mise en évidence de cet état de fait par le constat banalytique. »5.

« L’esprit banalytique » se perpétue encore de nos jours sous d’autres formes, tirant sa sève de la vacuité de nos sociétés matérialistes. Augusto Halmar, chroniqueur à Valparaiso a écrit : « Je n’ai rien vu sinon le monde, rien ne m’est arrivé sinon la vie » ; il aurait eu sa place dans ce congrès de Banalyse.

Les Cahiers de Banalyse

Les actes des congrès des Fades ont été édités par « Les Cahiers de Banalyse ».

Voici, à titre de curiosité, extrait des « Cahiers de Banalyse » n° 4 de juin 1986, le témoignage1 d’un participant (l’invité n° 175) au quatrième Congrès de Banalyse des Fades :

« Le voyage et le séjour en ce lieu cerne un espace intérieur où le rapport au réel s’observe différemment ; la décalcomanie protocolaire, qui tient lieu de ciment au congrès, désamorce les rites administratifs et sociaux qui voilent notre adhérence à un “être là” moins parasité. Ainsi, après le baptême au champagne, le viaduc prend une densité de présence moins ordinaire, le fait de le traverser (“Il suffit de franchir le pont”) le sacre intercesseur entre le banal quotidien et sa mise en abyme que le congrès détermine ; ainsi, le passage dans le tunnel, c’est-à-dire le bain dans l’obscurité (comme ils s’en pratiquent dans les rites de passages) invite le congressiste à se dépouiller de la fadeur de l’existence pour retrouver une fadeur semblable, mais celle-ci est montée en épingle et, par cela, prend ses distances avec la fadeur ordinaire (le congrès est le sel des Fades)… »

C’est un « jeu de société » bien connu que de (se) poser les questions : « …Quels livres emporterait-on sur une île déserte ? Quels sont vos livres de prédilection ? Que doit (!) contenir une bibliothèque d’honnête (?) homme ?… ». Ainsi, en mars 1987, nos « poètes du dérisoire » avaient-ils établi leur propre liste des 27 livres à emporter sur une île déserte. Figurait en vingt-cinquième position – parmi d’autres ouvrages fort utiles (!) sur une île déserte, tels le « Who’s who » ou encore « L’indicateur officiel Chaix » de la SNCF ! – le propre livre de votre serviteur : « Naissance d’un Géant », consacré à la construction du viaduc des Fades ! L’on y trouvait par ailleurs (mais en huitième position, c’est dire !) le recueil d’alexandrins à la gloire du viaduc des Fades déclamés en 1909 par le directeur de la Société philharmonique des Houillères de Saint-Éloy, le sieur Frachisse !

Jean-Paul Soulier

  1. Source Internet : http://www.lastree.net/fragmentslog/fragments/Banalyse.pdf ↩︎
  2. Fades : Le nom du lieu étant, bien entendu, compris dans le sens de « fadeur » ! Et le quotidien régional de renchérir en écrivant à ce sujet dans ses colonnes : « Fade : qui ne présente qu’un intérêt touristique médiocre, où les distractions sont nulles, la vacuité culturelle totale et la gastronomie sommaire… » ! ↩︎
  3. Le situationnisme était un mouvement d’avant-garde politique, littéraire et artistique de la fin des années cinquante, héritier du surréalisme et du lettrisme. ↩︎
  4. Source Internet : http://crlfranchecomte.free.fr/verrieres/revue-verrieres-8.pdf ↩︎
  5. Source Internet : http://crlfranchecomte.free.fr/ecrivains/des-ecrivains-en-fc/efc21-michel-guet.html ↩︎